Voici des sketches de : Renaud Weiss Le plaisir La chair est gaie, youpi, et j'ai pas lu tous les livres. Dieu m'en préserve, hâtif. Par conséquent, je ne ferai pas de Littérature et irai droit aux putes. Et pas par quatre chemins. J'emprunterai la ligne 4, direction porte de Clignancourt, et je descendrai à Barbès. C'est plus direct. Mais trêve de plaisante vie : évoquons dés à présent le plaisir avec des mots et des phrases. Le plaisir est un phénomène ma foi fort agréable, résultant de l'assouvissement de l'un des trois pêchers capitaux : boire, manger, ou, par dessus tout, copuler. Trois comportements nécessaires au maintien de la vie (boire et manger), ainsi qu'à sa pérennité (copuler). Notons en premier lieu que le plaisir n'est rien d'autre qu'une sensation inventée par la nature, une prestidigitation, un truc de magicien quoi, non pour nous faire plaisir, comme tout porte à le croire, mais uniquement pour assouvir son irrépressible besoin d'hégémonie universelle venu d'on ne sait où. Dans ce cours exposé, nous traiterons uniquement du plaisir sexuel, parce que les autres n'intéressent personne. Présentons sans plus attendre les principaux personnages. Le sexe de l'homme d'abord, pour faire bonheur aux dames. Le sexe de l'homme, pour ne pas le nommer, est un truc en peau de bébé entourant un corps caverneux extensible, qui peut aussi bien avoir la trique, comme on dit très vulgairement dans les milieux populaires, qu'avoir le trac, comme on dit beaucoup moins vulgairement dans les milieux artistiques. Quand le truc de l'homme a le trac, alors la femme des milieux populaires s'écrie : " beurk, ce Turc est incapable de bander ! ". Ce qui n'est pas très plaisant pour l'homme développé couché. Le sexe de la femme, pour faire horreur aux enfants, est un truc poilu comme une huître, qui peut aussi avoir la trique, comme on dit toujours très vulgairement dans les milieux populaires. Seulement cela ne se voit qu'à la loupe. Et on n'a pas toujours une loupe sur soi. D'où la supériorité stratégique évidente de la femme. Quand le truc de la femme a le trac, alors l'homme des milieux populaires s'écrie : " beurk, cette poule n'est même pas mouillée ! ". Ce qui est très déplaisant aussi pour la femme développée couchée. Comme on peut le constater à ce stade très homo-erectus des échanges sexués hommes femmes, le plaisir n'est pas acquis d'avance, par conséquent la pérennité de l'existence humaine non plus. La nature, toujours encline à déployer des trésors d'intelligence quand sa survie est en cause, eut alors l'idée d'un truc littéralement inébranlable : la Culture. Et son pendant sexuel, l'Amour (remarquons au passage qu'il y a Cul dans Culture alors qu'il n'y a rien, ou presque, dans l'Amour). L'Amour introduit donc, en biaisant avec la Culture, du jeu dans les rapports entre hommes et femmes : colin-maillard par exemple. Un homme a le visage bandé par des femmes, et pas que le visage, diront certaines bonnes langues. Puis l'homme poursuit les femmes à tétons, ce qui certes, est un pléonasme, mais n'en reste pas moins une redoutable réalité pour l'homme. Les femmes poussent alors de petits cris très évocateurs, sous l'emprise du jeu, renseignant immédiatement l'homme sur la celle qui lui fera le plus plaisir. Les pouliches, quand à elles, selon l'attirance qu'elles éprouvent envers l'âne bandé, car c'est un imbécile, se rapprochent très près, ou au contraire s'éloignent très loin du précieux ridicule, qui tâtonne, les cinq membres tendus, prêchant poétiquement dans le désert de son désir désuet des odes à l'amour du temps jadis, sans s'apercevoir qu'elles sont parties en douce à la buvette depuis plus d'un quart d'heure. Si l'amour est enfant de bohème, il est aussi fils de péripatéticienne. Oui, mais l'orgasme dans tout ça, vous demandez-vous à juste titre, mesdames et messieurs les lecteurs obsédés, l'Orgasme ? J'y viens. Là. Oui. Non, pas encore. Maintenant ! Oui !! Là !!! Maintenant !!! L'Orgasme est d'abord aveuglant comme un puissant halogène de marque Luminaire, puis pénétrant comme une ouverture en la bémol majeur d'un Grand Musicien, enfin, après quelques agitations voluptueuses et moult allers et venus vertigineux du corps caverneux dans l'huître poilue, il se met à résonner dans tous les sens, embrassant les bouches, brassant les salives, embrasant les cœurs, baisant les corps, tourneboulant les esprits, chavirant les consciences, emmêlant les cheveux, tournant sur lui-même, se pliant en deux, en quatre, en seize, se multipliant sans arrêt par deux, parfois jusqu'à mille vingt quatre ! Pour finir, il se libère progressivement en plein ventre, et même un peu à côté, irradiant la périphérie de l'intestin grêle d'un bien-être d'une amplitude inouïe sur l'échelle des tremblements abdominaux extatiques. Après, les mots ne suffisent plus. Quant aux phrases, n'en parlons pas. Il est préférable de s'arrêter là. La condition humaine L'existence de l'homme tire toute sa moelle du fait qu'il sait qu'il va mourir. Contrairement à celle du bœuf, qui laisse traîner bêtement la sienne dans le pot-au-feu. Le paradoxe de la mort, c'est que l'on est à la fois terriblement seul et terriblement nombreux devant. Et personne n'en est jamais revenu pour dire comment c'était, excepté cet illuminé de J.C., un vieil ami à moi. La mort est certainement adorable en vérité, et sans nul doute très bonne une fois qu'on y est. Pour peu que l'on ose se laisser emporter. C'est un phénomène parmi d'autres, comme les marées. Ce n'est pas la mer à boire. N'en faites pas une montagne. L'art de vivre consiste aussi à ne pas trop y penser. Il faut faire avec, sans se poser trop de questions. N'anticipons pas. Il y en aura pour tout le monde. Chaque chose en son temps. La mort viendra bien assez tôt ou tard. Mais cessons là. Ne parlons plus de la mort : c'est un sujet parfois mortel et souvent angoissant. En plus, si cela se trouve, la mort nous fait peur rien que pour nous embêter, alors... Parlons plutôt de l'existence. Pourquoi vouloir toujours la scinder en deux : la belle vie, la triste mort . L'existence humaine n'est ni belle ni terrible : elle est celle qu'elle est telle qu'elle est, exactement comme Dieu. Ce n'est que la représentation que nous en avons qui est belle ou terrible. De quoi la vie aurait-elle l'air si la mort n'était pas là, au bout, pour la cueillir comme un fruit trop mûr. A quoi rimerait la mort sans la vie devant elle ? La vie et la mort ne s'éclairent-elles pas l'une l'autre ? Ne pourrissent-elles pas autant l'une que l'autre notre existence ? La mort , la vie, l'existence, que choisir ? La mort et sa longue coiffe de solitude ? La vie et sa longue coiffe de souffrance ? L'existence et sa longue coiffe d'angoisse ? Aucune, naturellement, elles sont bien plus belles sans leur coiffe ! Néanmoins, s'il fallait donner une réponse à cette question pas possible, je pencherais volontiers pour la troisième solution. En effet, seule l'angoisse existentielle permet de lever le voile sur les questions de vie et de mort , en les mettant en exergue l'une à côté de l'autre, comme dans un soufflé au fromage que la ménagère fait cuire au four, et qui gonfle, gonfle, gonfle, jusqu'au moment où elle le sort du four en criant : les enfants !!! c'est prêt !!! A table !!! On mange !!! Cela démontre, s'il était encore besoin de le démontrer, que les angoissés existentiels ont leur place parmi les gens normaux, au moins autant que les soufflés au fromage, qui, soit dit en passant, en disent plus long sur l'être et le néant que bien des livres. Pour étouffer ce propos qui devient irrespirable (je devrais le sortir du four maintenant), je prendrai encore l'exemple de l'animal, qui n'existe au sens humain du terme, que parce que nous sommes là pour l'observer, et, le cas échéant, pour le consommer. Comme nous l'avons déjà dit, l'animal comestible ne sait pas qu'il va mourir dans nos palais. C'est un fait accepté par tous, même par les Princes végétariens d'Orient. Pour illustrer cette affirmation, comparons l'existence animale à l'existence à Nicole. L'animal naît, vit, puis meurt sans exister vraiment au sens où nous l'entendons, nous les Hommes. Lorsqu'il naît, l'animal ouvre les yeux et se couche bêtement sur le sol. Lorsqu'il meurt, il se couche sur le sol et ferme bêtement les yeux. C'est aussi bête que ça. Nicole, elle, naît, vit, puis meurt, mais entre temps, elle s'achète une voiture, car Nicole sait qu'elle doit mourir. Il faut donc en profiter au maximum, s'acheter une super voiture avec fermeture centralisée des portes, moteur diesel à injection douze soupapes, et double airbag à l'avant. Lorsqu'elle naît, Nicole descend toute droite du singe, comme par un accident fortuit de l'évolution animale. Lorsqu'elle vit, elle prend sa voiture et fonce à toute allure dans la foule, comme par un accès de folie.
Lorsqu'elle meurt, elle descend toute couchée de voiture, comme par un accident de la route.
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